Le pandémie post-COVID-19 – un nouvel avenir socio-médical

Bernard Ars, M.D., Ph.D., président de la Fédération Internationale des Associations de Médecins Catholiques

La période de confinement du début 2020 a montré que la mondialisation, phénomène économique et financier, a des limites, mais revêt également une dimension politique et au delà une dimension spirituelle, à l’échelle de toute la planète. Elle a aussi mis en évidence la réalité et la puissance d’Internet, instrument de cette mondialisation, ainsi que la capacité des technologies de communication de connecter les personnes entr’elles, avec ses avantages et ses inconvénients.

Cette époque a de même démontré la transformation radicale  de la pratique médicale par l’Intelligence Artificielle (I.A.). Elle l’a même certainement accélérée. Les applications « I.A. »  permettent et permettront de plus en plus des modélisations épidémiologiques, des diagnostics et des thérapies à distance, des repérages de personnes contaminées dans l’environnement, du télétravail, ainsi que la gestion stratégique des occupations hospitalières et en service de réanimation. Elles contribuent également à accélérer la recherche de vaccins et de nouveaux médicaments.

Mais, qu’entend-on par « Intelligence Artificielle »?

Il s’agit d’un ensemble de théories et de techniques mises en oeuvre en vue de réaliser des machines, capables de SIMULER certaines fonctions procédurales de l’esprit humain. C’est en fait un système de gestion automatisée des flux d’informations. L’I.A. est une illusion d’intelligence. Elle apporte une « compétence », mais pas une « Intelligence ». L’I.A. a pour objectif de donner plus de valeur ajoutée à l’humanité, à la création, c’est une aide à la décision.

L’avantage ici de l’I.A. sur l’Intelligence Humaine réside d’une part dans la capacité de stockage d’une quantité quasiment illimitée d’informations, et d’autre part, dans la puissance et la rapidité de calcul dans l’exploration de cette masse d’informations.

La cognition est un instrument de formalisation qui sert à témoigner des résultats de la pratique de son intelligence d’une manière communicable. Cette puissance cognitive de l’Intelligence Artificielle n’est pas l’Intelligence Humaine. Elle est à son service, mais elle est un outil dont l’utilisateur est responsable, au même titre que de tous les outils.

L’Intelligence Humaine est caractérisée par la conscience que chacun d’entre nous a de sa propre existence, par la conscience morale de ce qu’il faut faire ou ne pas faire, ainsi que par la capacité d’être attentif aux autres, au monde et à lui-même, capacité d’être dans une interaction responsable avec les autres, le monde et lui-même, afin de prendre une décision.

Nous ne sommes qu’au début d’une révolution de grande ampleur, l’I.A. progressant à un rythme étourdissant, puissamment alimentée par les algorithmes d’ « apprentissage  profond » qui utilisent d’énormes quantités de données en vue d’entraîner des programmes très complexes.

Comment alors apprivoiser l’Intelligence Artificielle pour qu‘elle soit vraiment au service de tous ?

Parmi les craintes les plus exprimées vis à vis de l’I.A., nous avons les problèmes de suppression d’emplois et une « perte d’humanité » devant ce « monstre » que représentent les algorithmes « qui nous gouvernent », sur Internet, sur les réseaux sociaux, dans la gestion de la santé publique, dans le e-commerce et jusque dans notre vie privée.

En ce qui concerne la « perte d’humanité », un des enjeux majeurs concerne les cadres éthiques, légaux, juridiques, basés sur une vision de l’Homme, à instaurer, afin de baliser les choix et les usages des technologies nouvelles, afin de promouvoir le développement d’applications respectueuses de notre RESPONSABILITÉ, de nos données personnelles, de notre cadre social et de notre modèle de société et enfin pour éviter les exclusions numériques.

Le danger le plus réel se situe dans le « business du big data » qui menace la confidentialité des données. Afin de s’en prémunir, il convient d’anticiper les risques de l’I.A., en remettant en question les décisions totalement autonomes, en empêchant les discriminations et la reproduction de préjugés humains, et en développant la protection et la conservation des données, ainsi que le droit à l’oubli. En ce qui concerne la suppression d’emplois, l’I.A. ne va pas détruire le travail humain, mais le bouleverser.

 L’I.A. n’est pas séparée de l’Intelligence Humaine. La première n’existe que grâce à la seconde. L’Intelligence Humaine peut néanmoins bien souvent être aidée par la première. L’objectif idéal de l’I.A. n’est pas de remplacer les salariés, mais de les soulager des tâches répétitives, sales ou fastidieuses afin qu’ils puissent se concentrer sur des missions à plus forte valeur ajoutée.

Dotée d’une incroyable capacité de traitement rapide et infatigable de grandes quantités de données, l’I.A. ne « comprend » pas les choses à la manière des êtres humains, puisque, pour elle, il n’y a pas de sens, encore moins de conscience.

Face à cette innovation technologique extraordinaire qu’est l’I.A., il est impératif de définir le sens du travail effectué par les humains et de son hydratation par l’I.A..

Parce qu’il donne un rôle dans l’entreprise, nous confère un statut social et nous intègre dans la société, le travail constitue dans nos sociétés modernes un élément essentiel de l’identité.

Dans tous les métiers, mais particulièrement dans celui de médecin, l’ « activité » demandée aujourd’hui est celle de – ce que j’appelle – « traducteur », d’intermédiaire compétent et constructif entre les Hommes et l’I.A., médiateur épistémique entre Humanité et Technique, qui traduit les attentes humaines, les besoins manifestés par les hommes, en termes compatibles aux capacités importantes des « machines » et qui, de la sorte, peut proposer en réponse aux attentes, des solutions très professionnelles et responsables, au service de l’Humain.

Tout ceci exige une « transparence opérationnelle » de l’I.A., ce qui permettra de mieux comprendre pour prendre la décision, ce qui donnera confiance à tous et aidera à rendre des comptes, à être davantage responsable.

Pour être un réel traducteur, en pratique médicale, il conviendra de non seulement connaître le langage profond de l’Humain, mais surtout de bien posséder les significations et les limites du langage technique. Une éthique de la responsabilité est indispensable.

La traduction de la nature de la personne humaine – ce qu’elle est profondément – par l’écriture d’algorithmes suit très clairement des objectifs et ne peut trahir ce sens humain profond.

Dans les métiers du soin, il devra aussi y avoir le « traducteur accompagnateur », celui qui accompagne l’autre (le patient) ce que la plupart appelle le « soignant » (infirmier, psychologue, assistant spirituel, social, éducateur, …) avec l’élaboration d’une éthique de la fraternité.

Mais tout en ayant ces qualifications, ce qui est ou doit être supplémentaire, chez le MÉDECIN, c’est la nécessité de donner une « présence », une « autorité existentielle qui donne confiance » – la Médecine demeure un Art. En dehors d’un professionnalisme performant, le médecin doit disposer d’aptitudes de compassion, d’animateur d’équipes, sensible au résultat, mais surtout porteur de sens. Cette autorité implique la nécessité de faire respecter certaines limites.

En complément aux éthiques de responsabilité et de fraternité, il convient de proposer et surtout de faire vivre une vision de l’Humain, impliquant des exigences de relations interpersonnelles ainsi qu’avec son environnement; ses limites et une ouverture vers la Transcendance. « Donner confiance », témoigner par sa présence, c’est développer par les vertus, des personnalités fortes, des « leaders ».